Il y avait des jours différents des autres. Des jours où l'on ressentait l'envie, ou même le besoin de se sentir utile pour les autres. Ces jours-là s'enchaînaient depuis la mort de Coline. On croirait presque à l'établissement d'une nouvelle routine chez moi. Peut-être était-ce normal après tout ? Le monde avait changé et je changeais à mon tour. On s'en rendait compte autour de moi. Les plus attentifs se faisaient même du souci. « Ne vous inquiétez pas pour moi. » répétais-je sans cesse. Ils n'en avaient que faire de mes phrases qui se voulaient rassurantes. Ma subite transformation les préoccupait. Je voulais leur dire que j'avais besoin d'air. Je voulais pouvoir me plonger dans mes réflexions sans être interrompue par leur habituelle inquiétude. Mais comment faire ? La solution me vint tout naturellement. Elle était simple et n'allait vexer personne. Il fallait que je parte. Une patrouille serait parfaite. J'avais appris quelques petites choses utiles grâce à Jackie et c'était l'occasion de les mettre en pratique. Je n'étais encore qu'une débutante en la matière, mais aux côtés d'une personne expérimentée c'était largement faisable. C'est ainsi que je me retrouvai à marcher avec Calla.

- « Aller. Ça ne sert à rien de trainer. » M’avait-elle lancé. Calla était une jeune femme bien mystérieuse. Autant par le physique que par son comportement. Peut-être qu'elle aussi avait dû changer. Tous les gens que j'avais pu rencontrer au cours de la traversée du contient, avaient été confrontés à de sombres épreuves. Calla ne devait pas déroger à la règle et peut-être que ses démons étaient encore plus effrayants que les miens. Je ne faisais que supposer, mais j'avais pourtant la certitude d'avoir raison. La grande brune jeta un regard soucieux par-dessus son épaule, voulant voir si je ne m'étais pas égarée. Elle avait beau être plus jeune, Calla était une femme bien plus agile, bien plus forte que moi. Pendant un court instant, je me surpris à éprouver un soupçon de jalousie à son égard. Je lui enviais sa dextérité, son sang-froid, son aura guerrière qui émanait d'elle. Calla suscitait chez moi une grande admiration. Je la vis ralentir le pas et arriver à ma hauteur. « J’espère que Jackie t’a appris quelques trucs. » m’avait-elle dit en me détaillant de haut en bas. Il était clair qu’elle doutait de mon aptitude à me défendre et c’était totalement légitime. « Assez pour ne pas t’encombrer, rassure-toi. » lui répondis-je d’une voix teintée de plaisanterie. L’humour avait perdu sa place dans ce nouveau monde et ma réponse m’avait tout de suite semblé ridicule. Cela n’avait pas d’importance pour Calla qui enchaîna la discussion en me demandant ce que je faisais avant que tout ne bascule. « J’étais une banale ambulancière à Savannah en Géorgie. Je travaillais pour l’hôpital civil de Reynolds Street pas trop loin de chez Julian et moi... » m’interrompis-je. Le fait de ne pas avoir mentionné le nom de Coline m’avait horrifié. Je déglutis et ne repris pas la suite de ma phrase, complètement sidérée par mon propre oubli. Je jetai un coup d’œil à Calla de peur qu’elle ne me demande de poursuivre ou de m’expliquer sur ma curieuse interruption, mais la belle brune songeait à autre chose.

- « Aller, avançons encore. Je veux être sûre qu’il n’y a aucune de ces créatures stupides dans le coin. » annonça Calla en un profond soupir. J’acquiesçai d’un air entendu puis laissai Calla prendre les devants. Un mal être persistait depuis la mort de ma nièce et il grandissait à chaque fois que je reparlais du passé. Sa mort me renvoyait à la promesse que j’avais faite à ma sœur. Celle que je n’avais pas tenu. Je secouai discrètement la tête dans le but de chasser ces sombres pensées. Si j’avais voulu accompagner Calla c’était pour m’aérer l’esprit en faisant quelque chose de différent et non pas pour me le torturer en ressassant les fantômes de ce qui faisait maintenant partie du passé. Ce fut la voix de Calla qui me fit sortir de ma rêverie. « Peu importe l’arme que l’on t’a donnée, il serait temps de la sortir. » dit-elle en dégainant son katana. Des zombies ? Je n'en savais encore rien. Je sortis de son fourreau la dague de chasse que j'avais un jour trouvé sur la route puis me mis en garde. Calla jeta un coup d'oeil au coin de la sinistre rue où nous nous étions aventuré. « Je crois qu’on va se faire quelques têtes. » m'intima-elle. Ainsi commençaient les choses sérieuses. C'était l'occasion d'appliquer les choses qu'on m'avait enseignées. Calla s'était déjà élancé dans la rue l'arme à la main alors que je voyais le groupe de morts-vivant pour la première fois. Je la vis fondre sur plusieurs d'entre eux avec adresse et efficacité, ce qui eut le don de m'emplir de courage. Je mis à courir droit sur un de ces cadavres animés en brandissant ma dague à hauteur de bras. Mon coeur s'affolait alors que je me rapprochais de ce qui avait l'air d'être une femme à la chair pourrie et rongée. Son abominable tête s'était retournée vers moi tandis que je sautai sur ma cible, la rage au ventre, les membres tremblants. Le corps du zombie se fendit en deux sous mon poids laissant le bassin de la créature se détacher de son tronc sanglant et lacéré. L'insoutenable odeur de chair putréfiée m'agressa les narines tandis que le râle habituel qui s'échappait de leur gorge me fit frissonner le haut du crâne. J'abattai franchement ma dague dans celui du rôdeur, qui avait l'espace d'une seconde tenté de m'attraper la gorge de ses mains sanguinolentes. À peine avais-je eu le temps de respirer calmement que je sentis quelque chose m'attraper le pied alors que j'étais encore affalée sur ma première victime. Un autre rôdeur s'était agrippé à moi et s'apprêtait à me croquer la cheville. Horrifiée par ce qui se déroulait sous mes yeux, je donnai instinctivement un coup-de-pied dans la mâchoire du rôdeur, qui se brisa en un craquement sinistre puis attrapa ma dague pour la planter dans sa boîte crânienne intacte. J'haletais alors que j'entendais le katana de Calla filer dans les airs. Il ne fallait pas que je reste à terre, je le savais. Dégageant le corps sans vie du deuxième mort-vivant d'un coup de pied je me relevais, la dague brandit devant moi. Attentive à mon environnement, je cherchais des yeux ma prochaine cible, celle qui semblait la plus proche, celle qui allait me mettre le plus en danger.