ce n'était pas la première, et sûrement pas la dernière fois; les virées en cachette pour approcher les naufragés. ils étaient différents, et c'était sûrement ça le problème. toi, tu as toujours rêvé de voir d'autres horizons, de rencontrer d'autres gens, d'avoir d'autres perspectives, et ces nouveaux visages n'avaient fait que raviver les braises de ton brûlant besoin de liberté. un feu ardent, coriace, difficile à cacher ou à tout bonnement éteindre. ça coule dans tes veines comme de la lave en fusion. la dangereuse adrénaline, la perpétuelle soif de connaissance. les grandes amies qui te poussent à épier ces hommes et ces femmes de l'autre côté de l'océan, planquée par les feuillages des arbres ou les épais buissons environnant. tu n'as jamais vraiment eu peur d'eux - tu n'as jamais désiré l'être.
si bien qu'après des mois dans l'ombre et l'oubli, tu osas ce qu'on t'avait alors interdit: nouer le contact. aujourd'hui, tu ne crains plus de les approcher comme eux ne se méfient plus de toi. amazone parmi les rescapés, beaucoup connaissent ta persistante loyauté pour tes sœurs malgré ta présence maintenant habituelle parmi eux. ceci dit, ne connaissant pas tout le campement, tu optes plus souvent pour la discrétion et l'observation, toi qui pourtant n'es pas des plus réfléchies. une bonne vieille manie dirait-on.
c'est de cette façon que tu as plus ou moins mémorisé leurs habitudes et emplois du temps. c'est de cette façon que tu as su remarqué cette femme au teint halé chargée des provisions. toujours concise, pressée, solitaire. qui asphyxie sur place si elle ne sort pas de là. elle a ce genre de cage dans la poitrine, ou l'esprit. tu le vois quand elle passe à quelques mètres de toi sans te remarquer, son regard. il y manque ces petites lumières lorsqu'on est heureux. elle est pourtant belle et compétente. peut-être se sent-elle trop vide, à l'intérieur, trop seule, trop creuse.
elle t'intrigue, il faut le dire.
alors tu as commencé à la regarder de loin, avec toutes ces questions en tête, puis à la suivre. tes pas dans les siens. ton ombre embrassant la sienne. et un jour, son baluchon avait lâché, tout renversé, et la nourriture s'était éparpillée un peu partout dans les hautes herbes, en pleine jungle. un de ses fruits avait roulé jusqu'à tes pieds, de quoi donner des envies à ton estomac: pensant qu'une petite perte de la sorte ne ferait pas de mal, tu t'étais volatilisée dans la nature avec ton butin sans en attendre plus. mais tu n'avais pas calculé que la rescapée était du genre attentive, et qu'elle viendrait vers ta position pour récupérer son bien, fruit qui bien entendu ne pouvait être retrouvé.
et ce petit jeu continua et continua, comme si la jeune femme était fortuitement et contre son gré des plus généreuses. jusqu'au jour où elle te prit sur le fait, le visage encore salie par le jus qui s'échappait de ta mangue nouvellement "trouvée".
aujourd'hui du côté de l'océan, préférant rester dissimulée à la limite de la jungle verdoyante et de la plage, tes possibles traces de pas dans le sable pouvant te trahir, planquée derrière un arbre un peu tordu, tu la surveilles encore. toujours animée par la curiosité des premiers jours.
et sa voix qui s'élève, intensifiée par le bruit des vagues plus loin.
vas-tu encore me voler ? assez incrédule, tu prends le risque de t'exposer une seconde fois, laissant lentement entrevoir une partie de ton visage. en ce jour, ni arc ni flèches, ni peintures sombres, ni terre pour camoufler ta singulière chevelure. juste cet air d'enfant confuse, hésitante, embarrassée. en effet, la première fois, votre rencontre ne s'était pas très bien passée; tu te rappelles de ses traits contrariés et de ses regards presque assassins.
la naufragée se rapproche alors de toi, étonnement souriante, ses vivres sous le bras; elle vient ramasser dans le sable quelque chose comme un kiwi - tu n'y avais pas réellement prêté attention - et cherche à te le donner. comme une bête sauvage sur ses gardes mais intéressée, tu la dévisages longuement avant de jeter un coup d'oeil aux alentours et de t'avancer à ton tour. ta main s'empare furtivement du fruit comme s'il s'agissait d'un précieux cadeau qu'il te tardait de consommer.
merci. finis-tu par lui adresser avec le sourire jusqu'aux oreilles avant de précipitamment te saisir d'une petite lame attachée à ta jambe et trancher en deux le petit fruit avec toute l'habilité d'une professionnelle, en position accroupie. c'était comme si tu avais délibérément choisi d'ignorer sa toute dernière remarque, comme si elle ne t'était pas destinée, comme si tu n'étais pas concernée. avec une certaine aisance, tu avais fini par éplucher la peau pour ne garder que ce qui était mangeable et lui tends une moitié.
c'est pour toi. tu ne perdais pas de temps.
prends, prends. toujours aussi radieuse.
- HRPG:
j'espère que ça te convient
ma couleur
#ff6666 ♥