• Physique :
Dire qu'Ariette est belle était un euphémisme : si elle ne possède pas les traits fins qui rendent un visage féminin, chaque trait de son visage est en accord avec les autres, comme une symphonie harmonieuse qui, sans être frivole, cache derrière ses grands yeux bleus légèrement écartés un trésor de beauté.
On dit que les cheveux d'une femme sont un atout. Ce qui se confirme chez Ariette: son visage ovale est encadré par une cascade de cheveux blonds qui ondulent naturellement jusqu'au bas de son dos. Ariette ne ressemble cependant pas à une jeune fille : elle n'en a pas la taille et, sans être grosse, la proportion de ses membres la rapproche de la femme.
Alors, c'est vrai, Ariette est une belle femme. Elle a du charme, de la douceur dans ses gestes et expressions. Son besoin de s'occuper des autres se traduit par un besoin de créer un contact avec eux: en les touchant, en soutenant leur regard, en retournant leur sourire...
Sa gesture est ample, sans être maniérée, elle reste caractéristique d'Ariette : elle se déplace en silence, sans hésitations et sans presser le pas. Elle ne balance pas non plus les bras, ne fais pas de gestes inutiles, se contentant d'avancer, l'air serein.
Derrière sa haute silhouette traine l'odeur nonchalante des fruits sucrés qu'elle cueille, de l'herbe mouillée dans laquelle elle s'est frottée les mains ou de l'écorce humide contre laquelle elle s'est posée plus tôt. Elle respire la force tranquille, de part sa jeunesse, son allure et sa stature : droite, solide et imperturbable. La tête relevée sur les épaules larges et solides de celles qui s'acharnent à soulever de lourds poids, des paumes noircies par le travail à la peau endurcies par les échardes qui s'y sont enfoncées en passant par le teint mât d'une peau que le soleil éprouve.
Son regard finit d'achever ce portrait : sous ses apparences légères, il s'assombrit parfois, permettant d'entrevoir chez Ariette une profondeur d'âme qu'on n'aurait pu suspecter.

• Caractère :
Comme pour beaucoup de rescapés, il y avait un avant Ariette et un après Ariette. Il y avait l'Ariette New Yorkaise, insouciante et naïve, et l'Ariette rescapée, cette adulte avant l'âge qui appris à composer avec les circonstances.
Mais pour comprendre l'Ariette d'aujourd'hui, il faut comprendre l'enfant qui sommeille en elle. Il faut voir l'aisance avec laquelle elle menait sa vie New Yorkaise, dénuée des problèmes existentiels qu'elle connait aujourd'hui. Il faut imaginer une petite américaine blonde dont les seuls soucis étaient de savoir quel film elle irait voir ce soir-là, comment elle se débrouillerait pour justifier sa note de littérature anglaise ou comment réussir à faire le mur sans se faire prendre. Cette Ariette là était prévisible, simple, de nature enjouée. C'était la blonde au grand sourire qui faisait confiance par nature, et dont l'optimisme sidérait beaucoup de proches. Elle n'était pas brillante en cours, mais trouvait toujours un moyen de s'en sortir. Quand elle arrivait en retard, c'était avec humour qu'elle s'adressait à sa prof : " Désolé madame, c'est la cloche qui a sonné avant que je rentre". Elle avait du culot, pourquoi pas après tout?
Mais c'était aussi et surtout une personne qui dépendait énormément des autres, une de celles dont on peut dire que " sa force venait des autres". Seule, elle était faible et vulnérable. Mais quand elle se sentait entourée et aimée, elle prenait confiance et faisait preuve d'un courage qu'elle aurait été incapable d'avoir seule. Aussi chérissait-elle son entourage.
Encore aujourd'hui, Ariette accorde une place importante dans sa vie aux gens qui l'entourent. Elle aime profondément les gens, qu'elle considère doués d'une humanité qui leur est propre.Elle prend donc soin des autres, sans arrière-pensée, pour le simple plaisir d'aider et de voir des gens retrouver le sourire. C'est l'essence même d'Ariette, et on ne la changera pas. Elle aide les autres, quitte parfois à se sacrifier.
Pourtant, les choses ont bien changé. Le temps de l'insouciance a pris fin avec le crash de l'avion, et l'Ariette dans laquelle on lisait comme dans un livre ouvert a laissé place à une Ariette plus secrète : en apprenant à encaisser les coups durs de la vie, cette Ariette a appris a refouler sa frustration, ses peurs et ses doutes, et à se créer un jardin secret éloigné du monde dans lequel elle est enfermée. Une bulle sécurisante dans laquelle elle se renferme pour se ressourcer et mieux affronter l'île. La vie était remplie d'embuches. Le temps, songeait-elle, nous aidait simplement à les accepter.
Le crash marqua donc la fin de l'insouciance et le début de l'âge adulte et de la maturité. Ariette n'avait pas 15 ans alors...
Mais Ariette n'a pas seulement appris à composer, elle a également compris l'importance des valeurs et de l'intégrité dans une île déserte. Des valeurs qu'elle a appris à défendre et auxquelles elle se tient désormais. Le respect, notamment, et la sincérité. Si ça n'a pas toujours été facile, ces principes lui ont permis de se faire des alliés parmi les rescapés, de ceux en qui elle dépend et qui lui permettent de tenir le coup.

• Mon passé avant de prendre l'avion :
Ariette était née à New York, de père américain et de mère française : Ariette Béatrice Elisabeth Heathrow Bathory avait vu le jour dans la résidence secondaire des Heathrow, où Éveline s'était enfermée pendant ses derniers mois de grossesse. Éveline et Jack étaient des personnages marginaux, qui viraient à la caricature par instant. Éveline, par exemple, se réservait des après-midi de lecture, citait Nietzsche, Kant et Gandhi, critiquait avec ferveur Rousseau et Freud. Elle parlait de changer le monde, dépeignait une société à laquelle elle disait n'avoir d'autre choix que d'adhérer. Elle hésitait, la main en l'air, à défendre une cause qui lui semblait perdue d'avance mais se lançait, envers et contre tout, dans un discours enflammé, une tirade digne des grands héros grecs qu'elle chérissait tant. Jack se tenait à ses côtés, silencieux et amusé par tant de ferveur. Il buvait un café qu'il savait infecte, mais l'avalait à grande gorgée de peur de froisser son épouse.
Et, malgré la voix aiguë de ma mère qui hurlait ses convictions, il y avait un air entendu dans la salle. Je n'y sentais ni tension, ni rivalité. On souriait, on ne changerait pas Éveline après tout! Au moment propice, que Jack avait appris à sentir, il s'emparait de sa main, la pressait doucement : " Chérie, ton thé."
Éveline se détendait alors. Je voyais la fatigue dans ses traits tirés, je distinguais son regard qui s'assombrissait. Sans raison, un sourire naquit au coin de ses lèvres, s'étendit et illumina son visage. Un rayon de soleil traversa la baie vitrée de la bibliothèque, les baignant dans la lumière une fraction de seconde avant de disparaître. Ariette ne quittait pas sa mère des yeux, ni en rentrant dans l'imposante bibliothèque, ni en faisant un signe de la tête aux invités et encore moins en se tenant à ses côtés, ses petites mains dans la paume durcie et ridée de celle qui l'avait mise au monde.


1er avril 2005, New York.
Ariette se leva avant que le réveil ait eu le temps de sonner. Elle resta allongé un moment, les yeux ouverts. Elle tendait l'oreille mais parvenait à peine à entendre le souffle régulier de son père. Son père qu'elle savait désormais seul dans son grand lit. Son réveil serait surement pire que le sien, elle se demandait même s'il était déjà réveillé. Elle ne voulait pas se lever, elle savait que rien ne l'attendait dehors. La lumière de la cuisine resterait éternellement éteinte. Elle ne se réveillerait plus jamais à l'odeur du bacon et des œufs. Elle se surprenait même à imaginer sa mère l'accueillir avec un sourire, son teint pâle dans la lumière matinale. Maintenant qu'elle y repensait, la silhouette filiforme qui s'était longtemps tenu là avait été si solitaire.
Elle se gratta la joue, et se traina jusqu'à la seule de bain. Au moins, ce matin, elle pouvait essayer de faire du bacon et des œufs...


Quand le bus fit halte, elle se laissa glisser dehors et attendit un moment sur le banc que le bus suivant dépose ses amis. Elle ouvrit son sac en cuir, qui ne contenait qu'une trousse et des feuilles de papier froissés, et en sortit un paquet de Winston. Même à New York, voir une collégienne qui fumait choquait. Elle n'avait que 13 ans après tout... c'était une enfant blonde qui ne se rapprochait même pas d'une adulte.
Elle écrasait sa deuxième cigarette quand le bus s'arrêta.
«Ariette !»
Elle releva la tête, souriante. Mily.
«Hey»
Mily lui prit le bras, et malgré l'odeur de la cigarette elle s'abstint de faire un commentaire. Elle se dirigèrent vers le collège, s'interrogeant sur le contenu du devoir d'histoire, sur ce qu'elle ferait après les cours. Mily voulait aller faire les boutiques et Ariette se contentait d'acquiescer. La journée serait longue, la soirée passerait trop vite. Ariette connaissait déjà ça. C'était une journée comme les autres. Un vendredi, et le week-end s'annonçait chargé.
«T'as trouvé quelque chose pour Tyson?», son copain, qui organisait une soirée ce week-end là. Elle haussa les épaules et esquissa un sourire: elle trouverait bien cette après-midi.


Juillet 2007 ~
« Tyson, toi et moi c'est fini» murmura Ariette, «il n'y a plus rien entre nous».
Tyson s'obstinait à fixer le sol. Cette relation avait survécu deux ans, mais le collège prenait fin et Tyson et elle seraient dans différents lycées, dans différentes villes. Tyson partait en Floride: c'était trop loin pour Ariette, elle n'y croyait pas. Lui non plus. Il releva la tête, l'air déterminé à dire ce qu'il avait sur le cœur mais se ravisa. A quoi bon ? Rien ne changerait le fait qu'il partait, que se voir serait impossible. Il la serra dans ses bras, il aurait préféré partir la tête haute. Mais il ne parvenait pas à en vouloir à Ariette. C'était au delà de ses forces de partir fâché.
Ariette le lui rendit bien. Elle réalisait que deux ans étaient passés, il avait grandi. A une époque, elle n'avait pas besoin de lever la tête pour le regarder dans les yeux. A une époque, elle n'avait pas besoin de lui tirer sur la manche pour l'inciter à se baisser et l'embrasser.
Il la lâcha soudain et, sans un mot, fit demi-tour. Cela leur convenait, autre chose aurait semblé déplacé. Cela n'aurait servi à rien. Ariette se tourna à son tour, mais au lieu de partir, elle appela Mily. Elle avait besoin de parler à quelqu'un.
Elle n'aurait plus beaucoup d'occasions de voir Mily non plus, elle passait deux semaines de ses vacances à Tokyo, et intégrait son nouveau lycée à son retour. Il ne lui restait qu'un mois pour voir ses amis et un mois, ça passait vite.

• Vie après le crash :

20 août 2007 ~ Sur une île inconnue.

J’ignore l'heure qu'il est, mais le soleil est déjà haut dans le ciel quand je me réveille. Ce n'est pourtant pas la lumière qui m'a réveillé. J'entends le clapotis lointain de l'eau et une voix grave, soucieuse qui me demande si ça va. Je parviens à entrouvrir un œil mais la lumière m'aveugle et je le referme aussitôt. L'épais brouillard qui paralysait mon esprit se dissipe peu à peu. Je sens une présence à mes côtés, et déplie doucement les doigts dans une vaine tentative pour l'atteindre.

"Elle est réveillée" crie t-elle. A qui parle t-elle? Je l'ignore encore. La chaleur brulante du soleil se dissipe peu à peu, les bruits s'éloignent, deviennent bas puis sourds. Je sombre à nouveau.


Plusieurs jours ont passés depuis mon réveil, et j'ai l'étrange impression que je vis un cauchemar qui dure et s'étend. Un cauchemar trop long dont on se réveille en fracas, haletant et inquiet d'y replonger. Ces derniers jours, chaque réveil s'avère être une torture. Combien d'heures ais-je déjà passées à chercher Jules parmi les rescapés? On est si nombreux... comment le retrouver? Il est là quelque part, inquiet de ne pas me trouver. Je ne dois pas me laisser aller à la fatigue, quelque part sur cette île, Jules m'attend. Que feras t-il seul? Je n'ai pas encore pu chercher partout, il y a encore tellement de rescapés portés disparus et tellement d'endroits où se cacher... Je ne dois pas le faire attendre.


Les jours se sont transformées en semaine. Nous nous sommes enfoncés dans l'île à la recherche d'un abri. Nous nous organisons comme nous pouvons. Parmi nous, il y a des blessés, d'autres ont perdus des proches. Certains se sont perdus. Nous nous serrons les coudes, mais le cœur n'y est pas. Un groupe d'éclaireurs est parti ce matin explorer la forêt dans l'espoir de retrouver d'autre personnes. L'espoir après tout, c'est tout ce qui nous reste.
On m'interdit de m'aventurer seule dans la forêt, je ne dois pas quitter le groupe. Je suis trop jeune, disent-ils. Je m'efforce de les convaincre, je plaide: "c'est mon frère". Ils n'y entendent rien. Alors Jules si tu m'entends, ne m'en veux pas. J'arrive. Peu importe le temps que ça mettra, j'arrive.

1er août 2012 ~

C'est fini. Tout est fini. Nous ne quitterons jamais cette île. Les nuits animées de New York me semblent si lointaines aujourd'hui... comme une vie antérieure qui vient me hanter la nuit. Quand la fatigue n'est pas assez forte, ils reviennent. Ces rêves cauchemardesques et fantasmagoriques dont les personnages principaux sont les fantômes du passé qui s’acharnent à revenir dans la brume épaisse d'un paysage désolé où leurs cris se meure au loin, appel sinistre qui m'est destiné. Le sourire de Jules qui, pâle, me supplie de le rejoindre. Je suis désolée Jules. Ma vie est ici désormais.