❝ i thought it'd be easy, but no one believes me.
i meant all the things i said. ❞

Noreen faisait de son mieux. Elle se levait tous les matins avec le même immense sourire collé sur les lèvres ; elle traversait son existence avec une seule certitude en tête, celle d’avoir fait le bon choix. Oh non, ça n’avait pas été une décision facile à prendre, et peut-être même que c’était l’une des plus difficiles auxquelles elle avait dû faire face, mais elle ne regrettait rien. C’était bien loin d’être aussi simple que ce qu’elle avait osé espérer, c’était même plutôt compliqué, mais elle donnait tout ce qu’elle avait pour appuyer sa crédibilité. Elle y croyait fort, parce qu’au fond les choses avaient déjà changé, pour elle. Elle se demandait depuis combien de temps elle n’avait pas eu l’impression d’être chez-elle et elle ne s’en souvenait même plus. C’était vieux, plus vieux encore que cette époque où elle avait manqué de se construire un avenir à New-York. Ça ressemblait à une éternité, et probablement même qu’elle avait supposé que cette époque, révolue depuis longtemps, ne pourrait jamais plus être revécue. Mais les originaires avaient se pouvoir d’embaumer son cœur et ça la rendait différente. Ici, pour la première fois depuis une éternité, elle avait l’impression d’être enfin heureuse. La plupart du temps, elle se contentait de traverser l’Hydre, découvrant à l’infini ses odeurs, ses couleurs et ses goûts, et elle savait qu’elle était comblée, mais elle ne savait pas pourquoi. Le soleil de l’hydre faisait briller ses yeux continuellement, et, quand elle avait l’impression de redécouvrir toutes les douceurs de cette nouvelle île, elle passait en fait lamentablement à côté de la vérité. Une vérité qu’il valait mieux négliger, laisser dans un coin de sa tête. Car elle avait vu ces gens qu’on foutait dans des cages, qu’on obligeait à travailler et qu’on torturait en échange d’informations. Elle n’avait pas pu passer à côté, mais son propre bonheur déteignant sur tout le reste, elle avait fermé les yeux sur ce qui n’aurait pas pu lui plaire. Ainsi, il ne restait, dans son décor à demi factice, que les bons côtés de cet endroit, les milles et une jouissances qu’il offrait et dont elle savait absolument profiter, maintenant qu’elle était ici.
C’était la première fois que Noreen Blodwyn-Géileis devenait égoïste.

Chaque jour était une nouvelle aventure parsemée d’efforts. L’ancienne survivante lambda faisait de son mieux, elle se donnait à son maximum pour impressionner la galerie, faire ses preuves et surtout, montrer au monde entier, ou tout du moins à ceux qui voulaient bien le voir, qu’elle en valait la peine. Elle était prête à chaque instant à remuer ciel et terre pour devenir impressionnante et, si souvent ses efforts ne menaient nulle part, elle ne perdait pas espoir de devenir, un jour, une recrue utile. C’est tout ce qu’elle avait toujours rêvé d’être, depuis qu’elle trainait de ce côté. La journée n’en fut que plus belle, alors, au moment où on lui confia une vraie mission. Elle s’était tellement battu, si fort et si longtemps, que ça lui semblait être une merveilleuse victoire : elle venait d’obtenir le droit, que dis-je le devoir, d’aller observer l’île et ses environs, dans la tour de garde. Plus enthousiaste que jamais, elle y était allée en sautillant, chantant à tue-tête des refrains irlandais dont elle se souvenait encore par cœur. Il lui semblait que c’était la première fois qu’on lui faisait confiance. Ses efforts commençaient à payer, voilà à quoi elle pensait.
Son arrivée dans la tour fut des plus bruyantes, parce qu’elle avait eu l’impression d’être seule, et surtout parce que l’idée d’espionner d’ici la tentait franchement bien. Elle fut probablement moins surprise que son interlocuteur, qu’elle reconnut au premier regard et à qui elle ne se priva pas d’envoyer un sourire radieux, à l’image de son humeur du moment. ❝ Salut toi, ❞ lança-t-elle avec un peu trop d’enthousiasme dans la voix. Elle avait le pressentiment étrange que quelque chose clochait – elle n’aurait su expliquer pourquoi, mais il fallait supposer que les choses se gâteraient dans les minutes à venir. Naturellement, elle, elle était contente de le voir, et pourtant le visage de son ami semblait ne pas lui répondre positivement. ❝ Alors, y’a du mouvement aujourd’hui ? ❞ Et sa voix renfermait éternellement toute sa joie d’être ici. Seulement, elle n’avait peut-être pas choisi le bon jour pour être heureuse, ni la bonne personne avec qui le partager.

❝ i thought it'd be easy, but no one believes me.
i meant all the things i said. ❞

Il y avait le jour et la nuit et ils s’apprêtaient à être réunis. Noreen, nouvelle recrue originaire, s’était reconvertie en petit soleil ambulant, inspirant chaque goulée d’air comme un véritable cadeau du ciel, elle déambulait d’un nuage de bonheur à l’autre sans se douter que la descente serait douloureuse, et probablement dangereuse. Elle avait envie d’y croire, à ses illusions dorées. Elle était prête à se laisser prendre au jeu, à espérer quelque chose de meilleur pour elle, et elle voulait imaginer que cet avenir se trouvait là, devant elle, sur l’hydre. Elle sentait que quelque chose de beau pourrait lui arriver, ici et seulement là, et cette simple pensée remplissait son cœur de joie. Bien-sûr, tout n’était pas simple, sa décision n’avait pas été facile à prendre, au point qu’elle ne parvenait pas encore à l’assumer tous les jours. Parfois, elle revoyait ces visages, entendait ces voix et supportait ces plaintes de ceux qu’elle avait bien pu laisser derrière elle, et ça lui faisait franchement mal. Mais il lui suffisait d’observer le soleil sous ce nouvel angle pour sentir son cœur s’apaiser. Tout irait bien pour elle, maintenant qu’elle était ici. Répétez-vous une chose à vous en persuader, et vous finirez vraiment par y croire.

Ici, elle se faisait de nouveaux amis, certains en qui elle avait parfois de la difficulté à lire, et d’autres à qui elle accordait déjà la plus grande confiance. Nemo était, sans le moindre doute, l’une des premières têtes de sa seconde catégorie. C’était grâce à lui qu’elle était ici, grâce à lui qu’elle allait si bien, et probablement tout simplement grâce à lui qu’elle était juste en vie. Il lui arrivait de repenser à ce moment et elle prenait conscience de la réalité, se rappelant que jamais elle ne parviendrait à lui rendre ce qu’il avait bien pu lui offrir. Elle lui devait presque tout et elle le savait. Elle essayait, de son mieux, d’être une bonne nouvelle recrue ; et, si la tâche se révélait souvent ardue, elle n’avait jamais eu envie d’abandonner. Car, à chaque fois qu’elle y avait songé, le visage de son ami lui était revenu à l’esprit et, alors, elle s’était juré, une nouvelle fois, de tout faire pour lui rendre la pareille. Elle était seulement à des kilomètres d’imaginer qu’aujourd’hui, son ciel s’assombrirait par sa faute.
Elle était entrée dans la tour et même le pessimisme palpable de l’originaire n’avait pas suffit à la rendre moins joyeuse. Elle l’observait, les yeux déjà pleins de questions. Elle pouvait bien le voir, dans cet affreux sourire, que quelque chose n’était pas normal. Elle n’escomptait simplement pas une seconde être la source de toute cette colère. Alors elle s’approcha de lui, comme si tout ça ne pouvait définitivement pas éteindre sa lueur intérieure. ❝ J’tombe bien alors, ça va faire passer le temps plus vite ! ❞, lâcha-t-elle après avoir jeté un bref coup d’œil sur l’océan. Elle n’avait jamais vu l’hydre avec tant de hauteur, et, perchée dans cette tour, elle la trouvait encore plus belle qu’à l’accoutumé. Mais Noreen était dans cet état d’esprit où tout peu devenir beau, même un escargot écrasé et tout collant. Elle n’allait pas tarder à déchanter, et le ton qu’employa Nemo lui glaça le sang. Elle n’avait pas peur de lui, parce qu’elle n’avait aucune raison d’en être effrayée. Pas vrai ? ❝ Oui, t’as vu, c’est dingue hein ! On m’a demandé de monter, j’pense qu’enfin, mes efforts commencent à payer ! ❞ Elle l’oubliait à chaque fois, mais le tout revenait bien rapidement : elle avait fait de son mieux, et c’était le moment d’en être récompensée. Et pourtant, la réaction de Nemo ne fut pas franchement celle qu’elle espérait. Elle qui aurait pu imaginer un semblant de joie se trouva face à un mur de sarcasme et de colère bien mal dissimulées. Fronçant les sourcils, elle l’observa dans son ensemble, pour s’assurer qu’il allait bien. Son corps n’avait rien, c’était le genre de blessure bien plus profonde et douloureuse. Elle devait savoir. ❝ Eh, mais pourquoi tu dis ça ? ❞ Elle bouffa alors ces quelques mètres qui les séparaient encore, et planta ses yeux droits dans les siens. Elle n’y comprenait pas grand-chose, mais elle était persuadée qu’il ne tarderait pas à éclairer sa lanterne. Si seulement… ❝ Est-ce que ça va, Nemo ? ❞ Et, parce qu’elle était naturellement comme ça, elle posa doucement sa main sur le bras du jeune homme, comme pour lui assurer qu’il pouvait définitivement lui faire confiance. Mais, parfois, les gestes ne suffisent même pas, alors elle prit une voix des plus rassurantes pour tenter de l’inciter à lui parler. ❝ Tu peux m’en parler, tu sais ? T’as tellement été là pour moi, j’peux aussi être là pour toi. ❞ Elle le voulait, d’ailleurs. Devenir cette amie à qui il pourrait venir raconter ses soucis, cette épaule sur laquelle il pourrait au moins se reposer quand ça n’allait pas. Il n’était pas vraiment de ce genre, mais elle pouvait au moins essayer, pas vrai ?