« Eileen »
Eileen allait avoir vingt ans et venait à peine de terminer sa formation. Elle étudiait à l'Académie depuis cinq ans, et enfin, son diplôme allait lui être remis. Eileen était différente de la majorité des étudiants présents à l'Académie. La plupart possédaient ce physique assez typique, des cheveux blonds très clairs et bouclés, un visage aux traits fins et des yeux clairs et purs, qu'ils soient bleus, verts ou dorés. Eileen, quant à elle, était assez menue, ses traits n'en étaient pas moins fins, certes, mais ses cheveux étaient noirs comme une nuit sans lune et ses yeux verts brillaient d'une lueur différente. Quand elle avait commencé sa formation, juste après sa dernière année au Collège Général, les gens la regardaient étrangement, comme si elle venait d'une autre planète. Ce qui, en quelque sorte, n'était pas complètement faux. Ses parents n'étaient pas ses parents biologiques, ils l'avaient adoptée lorsqu'elle était âgée d'à peine quelques mois. Son arrivée sur Halcya, sa planète actuelle, s'était produite de manière inconnue. Cependant, ayant été élevée par ses parents Halciens, elle possédait tous les caractères des autres habitants de la planète en question, et avait donc pu suivre le même cursus scolaire que ceux de son âge. Et elle était là, enfin, prête à recevoir son diplôme et se voir assigner sa première mission.
La jeune fille s'était réveillée tôt, elle avait eu beaucoup de mal à dormir, cette nuit-là. Elle s'était préparée pendant un long moment et était enfin prête. La cérémonie se déroulait dans un amphithéâtre de l'Académie, où étaient rassemblés élèves, familles et amis. Les futurs diplômés avaient une rangée bien spécifique, et le Master, le directeur de l'Académie, appelait chaque étudiant par ordre alphabétique. Le stress était à son comble à l'arrivée des noms qui précédaient le sien. Cardelaïus… Careely… Castinio… Castoner…

- Catterway Eileen !

Eileen se leva d'un bond, boostée par l'adrénaline. Elle descendit lentement les marches de l'amphi. Sa plus grande peur durant ses cinq années de formation avait toujours été de trébucher et de tomber à travers les gradins. Ce qui ne lui était jamais arrivé. Elle priait pour qu'aujourd'hui ne soit pas le jour où son cauchemar se réaliserait… Voilà, plus qu'une… et c'est bon !

- Moi, Master Doorwitch, directeur de l'Académie Ansikia, décerne aujourd'hui le diplôme de Pālaka à Mademoiselle Eileen Catterway ici présente, à la suite de ses cinq brillantes années de formation dans notre Académie !

La jeune femme, intimidée, récupéra le diplôme d'une main tremblante, attendant la suite du discours. En effet, c'était maintenant qu'elle allait se voir assigner sa toute première mission.

- Eileen Catterway, fille de Halcya, ta première mission sera de t'occuper d'un enfant humain, sur la planète Terre. Voici un dossier complet sur l'enfant et tout ce que tu dois savoir à propos de cette mission. Bonne chance !

Le dossier bien en mains et un sourire un peu niais aux lèvres, Eileen partit retrouver sa famille et ses amis qui avaient déjà été appelés. Ils attendirent la fin de la cérémonie et commencèrent à discuter de leurs missions respectives. L'une partait sur Gallifrey, un autre sur Chelonia, tandis que d'autres encore restaient sur Halcya afin de régler des affaires internes.
Eileen était contente d'être envoyée sur une autre planète. Il fallait dire que, malgré son affection pour sa planète adoptive, elle avait bien envie de découvrir de nouvelles planètes et, pourquoi pas, la sienne. Elle n'avait rien dit à ce sujet, pourtant au fond d'elle, c'est ainsi qu'elle voyait les choses. Ses missions seraient un moyen de voyager tout en apprenant le "métier" de Pālaka, autant que de découvrir de nouveaux horizons.
Après être rentrée chez elle, Eileen s'installa sur son lit afin de consulter le dossier. Celui-ci était relativement gros, ce qui voulait probablement dire qu'il était plutôt complet. La jeune Pālaka avait du mal à deviner si c'était plutôt une bonne ou une mauvaise chose, dans son cas…

- A nous deux, petit Terrien !

L'enfant se prénommait Maël Telneville, il était âgé de huit ans et vivait en France. Grâce à ses cours de géographie intergalactique, Eileen pouvait à peu près visualiser ce pays, bien que ce ne soit que de la théorie. Le dossier fourni par le Master était rempli d'informations concernant le comportement, les mœurs et les goûts des Terriens, et plus particulièrement des Français. Durant l'un de ses stages, la jeune femme avait eu l'occasion de vivre quelques simulations de vie dans des contrées éloignées comme celle-ci, et la France avait fait l'objet de l'une de ces simulations, fort heureusement ! L'histoire de la famille et de l'enfant était également présente afin de mieux cerner le petit Maël. La seule lacune de ce dossier était qu'il n'y avait qu'une description plate, académique de tout cela. Le caractère des humains, de la famille et de l'enfant plus particulièrement, était complètement inconnu. Ce qui, en soi, laissait une part de mystère en cette mission.
C'est toute excitée que la jeune Pālaka partit se coucher. Demain allait être un jour fantastique !

* * *

La capsule spatiale l'attendait. Anxieuse et excitée à la fois, Eileen s'approcha de l'équipe de préparation afin d'enfiler sa combinaison de protection. Une fois arrivée sur Terre, le vaisseau deviendrait invisible et seule Eileen avait le pouvoir de le faire se matérialiser. Elle passa en salle d'opération où un décodeur linguistique lui permettrait de comprendre et parler la langue des humains sans l'avoir apprise au préalable. Cette opération fut indolore, juste une petite injection… Puis elle fut fin prête.
Elle dit au revoir à sa famille et ses amis, elle qui avait toujours vécu avec eux… Les adieux n'étaient pas sa tasse de thé, ça non ! Elle se sépara de sa mère et monta à bord du vaisseau.

- Au revoir, fais attention à toi !

Lui cria sa mère avant que la capsule ne se referme. Eileen mit le vaisseau en fonction automatique, puisqu'il était programmé pour se rendre sur Terre. Prochain arrêt : la France !
Le trajet fut rapide et elle atterrit en douceur dans le jardin de la famille, actuellement absente. Elle activa le bouclier d'invisibilité, cachant ainsi la capsule à la vue de tous et se rendit dans la maison par téléportation. Elle atterrit dans la chambre de Maël, réfléchissant à un moyen de lui présenter les choses…

TROIS MOIS PLUS TARD

- Maël ! Qu'est-ce que tu fiche encore ? On va être en retard !
- Laisse-moi tranquille un peu, j'ai pas envie d'y aller à cette fête !
- Tes parents m'ont confié ta garde et m'ont demandé de t'y emmener, tu es sous ma responsabilité, c'est donc moi qui décide de ce qu'on fait.
- J'm'en fiche, t'es pas ma mère ! J'ai pas à te suivre.
- Ah oui ? Tu veux peut-être que j'appelle ta mère, justement, pour qu'elle te prive d'ordinateur et de jeux vidéo ?
- Ok, c'est bon j'arrive !

Eileen travaillait chez les Telneville depuis trois mois maintenant. Maël était loin d'être l'enfant sage et gentil comme elle l'avait espéré, il ressemblait plus à un véritable ouragan, toujours à bouger, râler, faire des bêtises dès que l'occasion s'en présentait. Il était turbulent, grossier mais intelligent et rusé. Oui, le problème était là. C'est que, loin d'être un imbécile, le jeune Maël était très intelligent, ce qui rendait ses coups tordus imparables et sa rhétorique déjà acérée malgré ses huit ans. Par moments, il lui arrivait d'être sage, et dans ces moments-là, Eileen ne savait jamais si c'était simplement pour réfléchir à une nouvelle vacherie ou bien qu'il était sincère. Ces rares moments aboutissaient même, de temps à autre, à des séances de jeu plutôt agréable entre le petit homme et la Pālaka.
Mais aujourd'hui, l'enfant était mal luné. Dès son réveil, il avait marmonné des choses incompréhensibles, bien que le sentiment qu'il fasse passer fût parfaitement compréhensible, lui. Ce soir, ses parents se rendaient au théâtre pour leur sortie mensuelle, même s'ils étaient régulièrement de sortie pour leur travail ou bien chacun de leur côté. La mission d'Eileen ne consistait pas à s'occuper des relations entre les parents de son protégé, mais elle pensait que, si un Pālaka devait se charger de ce couple, il aurait du boulot. Enfin, ce soir, elle était sensée amener son protégé à la fête de la ville où avaient été, pour l'occasion, installés différentes attractions et activités. Mais, que ce soit par véritable désintérêt ou simplement par esprit de contradiction, Maël était totalement récalcitrant à l'idée de se rendre à cette fête, tout comme chaque sortie auxquelles Eileen était sensée l'emmener.
Tout s'était bien déroulé, en dehors du coussin péteur sur sa chaise, de la glue sur son oreiller, de petites voitures savamment placées dans sa chambre afin qu'elle tombe, des blagues idiotes, des situations gênantes dans les lieux publics… Oui, mis à part tous ces "petits" désagréments, la mission se déroulait sans encombre. Dans un mois et demi, quand le jeune Maël aura atteint l'âge de neuf ans, celle-ci prendrait fin et elle s'en verrait assigner une autre, et ainsi de suite. Telle était la vie des Pālakas.

- Bon, Maël, tu es prêt oui ou non ?
- Ouiii, j'arriiiive !

L'enfant la rejoignit, ils sortirent, elle ferma la porte à clé et partir en direction du parc. Évidemment, elle n'avait, ici, aucun moyen de transport. Les voitures humaines étaient très différentes des véhicules employés sur Halcya, elle avait donc préféré dire qu'elle n'avait pas le permis. Ils se rendaient donc à leurs sorties en bus ou à pied. Cette fois ci, le parc n'était qu'à cinq minutes de marche de la maison des Telneville, ils arrivèrent donc très rapidement pour la fête.
Les protestations de l'enfant furent bien vite oubliées lorsqu'il vit la fête, les manèges et autres attractions. Il n'en restait pas moins un enfant de huit ans et ses yeux brillaient de voir toute cette sublime agitation. Le seul problème était qu'Eileen allait sans doute devoir l'accompagner dans les manèges… !
La soirée se déroulait à merveille, l'effervescence de la fête avait fait passer le mauvais caractère de l'enfant et il s'amusait comme un fou. Eileen avait un peu mal à la tête et à l'estomac après ses trois tours de montagne russes consécutifs, mais elle était heureuse de voir que son protégé allait bien.

- Eh, Line, on peut aller tester les fléchettes ?
- Tu sais que tes parents sont contre tous ces jeux là…
- Mais steuplééé !
- D'accord, mais juste un coup, d'accord ?
- Ouais ! D'accord !

Ils se dirigèrent vers le stand de fléchettes, quand soudain Maël stoppa net.

- Pourquoi tu t'arrêtes comme ça ?
- Je… Ce garçon là-bas, c'est Mickaël Palun… L'année dernière avec les copains, on avait trouvé un rat mort qu'on avait mis dans son cartable… On voulait pas que ça se passe comme ça !
- Comment ça ? Il s'est passé quoi ? Maël !
- Eh bien… Il a ouvert son sac, et il a fait un malaise… Sauf qu'il est tombé et s'est ouvert la tête sur le coin de la table. Il est parti… Il est parti à l'hôpital et ses parents l'ont changé d'école… Oh, Line, je te jure, je voulais pas ça ! Il a perdu la tête… Il… Il est comme les handicapés de la classe spéciale à l'école. Il parle bizarrement et fait des choses anormales pour un enfant de huit ans…
- Ecoute Maël, ce qui est fait est fait, on ne peut plus rien pour lui maintenant. Certes, ce que vous avez fait est très mal, mais vous ne pouviez pas savoir ce qui allait se produire et maintenant, c'est du passé. Allez, allons faire les fléchettes.
- Mais il y est…
- Peu importe, il faut tourner la page. On rentre après, si tu veux.
- D'accord…

Arrivés au stand, Maël regarda du coin de l'œil son ancien ennemi. Il ne semblait pas l'avoir reconnu, heureusement ! Il n'avait plus tellement le cœur à jouer, mais étant donné qu'il l'avait dit à Eileen… Il prit les fléchettes et s'apprêta à viser.

- IL EST LA ! C'EST LUI ! MAMAN ! C'EST LUI QUI A FAIT CA A MICKAËL !

Tout s'enchaîna à une vitesse impressionnante, Eileen ne comprit rien à ce qu'il se passait. Un autre enfant, un peu plus âgé que Maël et Mickaël tenait les fléchettes dans ses mains, l'instant d'après, son protégé se retrouva avec une dans l'œil droit, une autre dans la cuisse et enfin une dernière plantée en plein milieu du front.
Eileen courut intercepter l'enfant dans sa chute, hurlant à tout le monde d'appeler une ambulance et la police. Les fléchettes n'étaient pas censés faire ça, elles étaient censées être inoffensives… Si seulement elle l'avait empêché d'y aller ! Le sang coulait de la tête de Maël, il gémissait et avait du mal à garder les yeux ouverts. D'ailleurs, son œil gauche semblait être bel et bien perdu…
Tout s'éteignit autour d'elle. Toute la foule disparut, ne laissant place qu’à elle et l'enfant. Sa mission était de le protéger et la seule fois où elle aurait pu empêcher un drame, elle ne l'avait pas fait. Pourquoi ? Pourquoi avait-elle échoué ? Ces cinq années de formation, des réflexes censés être parfaits… Elle n'avait eu aucune vision, chose qui aurait dû se produire si son protégé avait été en danger. Ce n'était pas normal. L'enfant qui avait blessé Maël n'était pas complètement humain, puisque la magie des Pālakas avait été impuissante… Malgré son chagrin et sa culpabilité, Eileen ne pouvait s'empêcher de se demander…

Qui est-il ?

This could really be a good life…