La vie est comme un fruit...

Elle était tout près. A portée de main.
Debout sur la pointe de ses pieds nus, elle saisit la branche la plus basse et se hissa dans l’arbre avec l’agilité d’un écureuil. Elle n’avait plus qu’à se hisser cette branche pour que…

Sa petite menotte se referma enfin sur le trésor tant convoité.

Parfaitement lisse, le fruit brillait dans sa main. Il semblait d’ailleurs deux fois plus gros que celle-ci.

Tout sourire, la gamine la brandit fièrement au dessus de sa tête. C’est qu’elle était fière de sa prise !

Et puis il faut dire qu’elle était belle cette pomme. Pas de celles que l’on sacrifie au cidre, mais plutôt de ces fruits magnifiques que l’on présente le dimanche, à table, ou lorsque quelqu’un d’important vient vous rendre visite.

La plus belle pomme de tout le comté !, se dit la fillette en brandissant fièrement sa trouvaille au-dessus de sa tête.

La pomme brillait et envoyait ses scintillements au gré des mouvements de sa main. Le soleil s’y reflétait avec amour et dardait ses rayons chaleureux sur un rouge vif.

Admirant les reflets sur sa peau brillante, elle se dit qu’elle pourrait la faire briller plus encore. Toujours en équilibre sur la branche, elle prit le coin de sa manche et commença à frotter la surface du fruit. La langue en coin, ce fut avec un plaisir non dissimulé qu’elle vit la pomme briller davantage encore. Elle en était béate d’admiration et l’eau lui vint à la bouche rien qu’à la pensée de planter ses petites quenottes dans sa chair tendre et juteuse.

Soudain, elle sentit que la branche sous n’était plus tout aussi stable. Quelques craquements de branches successifs plus tard, elle était au sol. En se frottant la tête de sa main libre – car elle n’avait toujours pas lâché sa trouvaille -, les larmes aux yeux, elle finit par s’asseoir sur l’herbe verte du verger.

Le soleil était à son point culminant en cette belle journée d'automne. Ses rayons chauds caressaient le visage de la petite fille au teint pâle et aux joues rosies par l’effort. Elle ferma un instant les paupières, pour mieux sentir la brise et la chaleur du soleil. Une expression à la fois sereine et épanouie illuminait son doux visage.

Elle avait quatre ans. Petite et menue, elle semblait passer comme un songe. Ses cheveux longs et raides, se combinaient dans des couleurs de platine et d’ambre donnant une impression d’auréole. Sa peau pâle comme du coton se confondait avec sa fine robe blanche. Simple, sauvage et pieds nus, elle paraissait aussi libre et légère que le vent : un ange.

« Rachel ! RACHEEEL !! » cria une voix dans le lointain.

La fillette réagit en tournant vivement la tête vers la direction de l’appel. Heureusement, il y avait eu plus de peur que de mal. Elle se remit sans mal sur ses pieds et, toujours sans lâcher la pomme, elle commença à courir de toute la force de ses petites jambes vers la voix.

Arrivée en haut de la colline verdoyante qui surplombait le verger, elle s’arrêta quelques instants pour cueillir quelques fleurs des champs puis reprit sa course en direction de la silhouette qu’elle apercevait à présent en contrebas.

A chacune de ses foulées, la silhouette se faisait de plus en plus précise. Mais même sans cela, la petite fille l’aurait reconnu de loin.

La lumière du matin soulignait d'un halo doré la silhouette de la jeune femme. Une silhouette pure, et de longs blonds cheveux qui retombaient en cascades sur ses épaules. Elle devait avoir une vingtaine d’années et elle était très belle.

Grande, elle avait des yeux très bleus et perçants. Ses bras étaient musclés par les durs labeurs de la vie paysanne, bien qu’elle ait également la prestance et le maintien de la dame de compagnie qu’elle était.

« Rachel, mais que faisais-tu bon sang ? J’étais morte d’inquiétude !! »

Le regard dirigé vers le sol, la fille esquissa un petit sourire, très léger et très doux. Ses grands yeux dorés et pétillants fixaient la jeune femme tandis qu’elle maintenait dissimulé dans son dos, le bouquet de fleurs sauvages.

« Mais regarde dans quel état tu es ! Où étais-tu donc passée ? Je t’ai cherché partout. »

C’est vrai que la fillette était loin d’être présentable et ressemblait davantage à une petite sauvageonne qu’à la fille de la dame de compagnie de la comtesse. Nu-pieds, les cheveux en bataille, elle avait le visage et les mains un peu crasseux et égratignés, tout comme ses genoux d’ailleurs.

Elle était dans un bien piteux état, en effet. Mais elle avait vu pire… Son sourire s’élargit à ce constat, comme si elle en était fière, avisant les brins d’herbe et les petites graines qui s’étaient pris dans ses vêtements.

« Rachel… » gronda la jeune femme, les poings sur les hanches.

La petite fille baissa alors la tête, penaude, et bredouilla des excuses, sentant le rouge lui monter aux joues tandis qu’on la fixait d’un air désapprobateur.

« Si ton père apprend que tu es encore sortie sans autorisation du château… »

En réalité le père de Rachel était d’une nature très douce et conciliante. Il n’élevait jamais la voix et lui expliquait toujours calmement les choses lorsqu’il lui faisait des reproches. Seule sa mère pouvait réellement se mettre en colère.

D’un tempérament plus vif que son mari, elle avait naturellement le sang chaud et était légèrement colérique. Mais elle ne retournait jamais ses colères contre sa fille et le moindre sourire de la fillette suffisait pour calmer ses humeurs et la faire revenir à un état d’esprit plus pacifique.

D’ailleurs, il suffit que Rachel sorte ce qu’elle avait derrière son dos pour que la jeune femme s’adoucisse et que sa colère fonde comme neige au soleil.

« Merci ma chérie. » dit-elle en prenant le bouquet des petites mains et en lui déposant un baiser sur le front. « Allez viens, je vais te débarbouiller un peu et on retourne au château. »

Attrapant la main que lui tendait sa mère, Rachel la suivit avec une démarche légère et sautillante tandis qu’elle dissimulait la précieuse pomme dans un repli de sa robe.

Sa mère n'approuverait certainement pas qu'elle ait été la chercher dans le verger du père Maslo...