Il décrivait des cercles parfaits dans le ciel. Quelques turbulences le déstabilisaient de temps à autres, prouvant que c'était grâce au vent et non grâce à lui. Il se laissait porter par un courant qui le faisait grimper, encore et encore, plus haut vers les nuages, plus haut vers le soleil. L'Icare de toujours, celui que les humains ont vaguement essayé d'imiter, avec leurs machines d'un blanc immaculé, qui traversaient le ciel en un vrombissement infernal. Mais non, son silence à lui était inimitable. Il laissait la brise lui effleurer le corps, l'ébouriffer et le faire frémir. On ne pouvait que l'envier. Je ne pouvais que l'envier, lui pour qui tout semblait si simple. Tout naissait d'un désir après tout, celui, imminent et indomptable, d'ouvrir grand ses ailes, laissant le zéphyr non pas embraser, mais glisser le long de ses plumes. Le faire décoller. Le faire s'envoler. Et monter, s'élever au-dessus de l'hôpital, sous le regard lointain d'une rêveuse, qui le regardait. Décrivant des cercles parfaits dans le ciel. Comme des ronds de fumée. Comme des bulles de savons.

Je l’ai regardé qui s'éloignait de moi. Que pouvais-je faire sinon l'envier ? Je n'osais détacher ses pupilles de cet oiseau qui bientôt, ne serait plus qu'un point noir, ballotté par les bourrasques new-yorkaises. Je levais mon visage vers lui, l'offrait à l'azure pur du ciel, dont ses yeux était le reflet. Et je ne pouvais plus me détacher de cette contemplation qui se métamorphosait en une torture presque douce et agréable. J’observais cet oiseau qui s'en allait. « Oh ! Tu m'écoute ? Comment t'as fais ton compte cette fois ? Une flaque de boue à ce qu’on m’a dit ! T'as vraiment rien dans le caillou hein ! » Je ne bougeai pas, ne tourna pas mon visage, ne haussa même pas les sourcils. J’écoutai d'une oreille plus que distraite la gamine assise à côté de moi. Pourquoi j’y avais cru ? Je n'en savais rien. Ce matin-là, pour la énième fois, l'infirmerie m’accueillait avec à sa tête Nicolas Jones. Ce prénom qui continuait de déclencher en moi des vagues de tendresses et de bien-être. C'était lui, l'homme, celui qui un jour, avec une audace et une certitude incroyable, m’avais dit qu'il était temps que je me mette à faire plus attention à moi. Que vivre dans l’insouciance ou la peur n'était pas supportable. Que je ne devais pas craindre le prochain coup mais que je devais au maximum limiter les dégâts. Derrière un battement de cils, j’entendis sa voix, tellement douce mais brutale qu'elle me faisait encore frémir. Il ne tient qu’à toi de renverser la balance, Je… Une bile remonta dans sa gorge, accompagnée d'un hoquet de douleur, d'un frisson de désespoir et d'une envie fulgurante de s'écrouler par terre, sur l'herbe, et de se laisser crever avec la marque des derniers coups qui m’ont amenés ici. Il m’avait dit qu'il s’inquiétait pour moi. Il avait réussi à me convaincre d’être plus prudente… Enfin presque car s’il savait ce que j’étais en train de faire auprès du Joker j’aurais le droit à une cellule remplie de coussin, une camisole de force et de la bouffe en perfusion.

Je souriais inévitablement. C'était donc ça, la vie ? Être assise sur un banc, sur la terrasse de l’infirmerie avec une cheville et un poignet dans un état pas possible, des hématomes sur le corps, des coupures et des douleurs. C'était donc ça, faire pencher la balance ?

This cloud really be a good life